Spoofing bancaire et négligence grave du Client : Quand la Banque est tenue de rembourser face à l'usurpation d'Identité

La menace grandissante du Spoofing

Dans le paysage numérique actuel, la facilité et la rapidité des transactions bancaires en ligne sont un atout pour l'utilisateur. Elles sont aussi une aubaine pour les tiers malveillants. Parmi les formes d'escroquerie les plus sophistiquées, le « spoofing » téléphonique, également appelé fraude au faux conseiller, représente un défi majeur pour la sécurité financière des clients et la responsabilité des établissements bancaires. Ce procédé, qui consiste en l'usurpation d'identité, notamment par appel téléphonique, est si élaboré qu'il est souvent difficile pour la victime de déceler l'irrégularité.

Face à ces paiements non autorisés, une question essentielle se pose : qui doit supporter le risque? Est-ce la banque ou le client ? 

Cet article, essentiel pour comprendre vos droits en matière de sécurité bancaire, décrypte le mode opératoire du spoofing, le cadre légal du remboursement, et s'attarde sur la la négligence grave du client, le critère d'exonération de la banque.

Spoofing bancaire
Recouvrement de créances

Diane FIRINO MARTELL

4 octobre 2025

I. Comprendre le Modus Operandi du Spoofing : L'Art de l'Usurpation d'Identité

Le spoofing est une technique d'escroquerie qui vise à tromper le client en utilisant la confiance qu'il accorde à son établissement financier.

A. Une tromperie difficile à déceler

La particularité de cette arnaque est son ingéniosité. Elle réside en l'usurpation du numéro de téléphone de la banque ou, plus spécifiquement, du conseiller bancaire du client. Lorsque le fraudeur appelle, le numéro du véritable conseiller bancaire s’affiche sur l’écran du téléphone de la victime.

L'escroc se présente alors comme un agent, un préposé ou un technicien de la banque. Souvent, l'interlocuteur est déjà parfaitement informé de la situation personnelle du client ou de ses opérations bancaires récentes.

B. La Mise en Confiance et le Sentiment d'Urgence

Pour obtenir l'accord du client et le pousser à commettre des actions irréversibles, l'escroc utilise les deux leviers psychologiques puissants : la mise en confiance et l'urgence.

Par exemple, le client peut être alerté sur un prétendu piratage de son compte, et l'escroc propose d’y remédier immédiatement en lui demandant d'effectuer des manipulations sur son espace personnel. Ces manipulations consistent souvent à changer un mot de passe, ou à « re-valider » des bénéficiaires de virement prétendument supprimés par la banque pour contrer l'attaque.

II. Le Cadre Légal : L'Obligation de Remboursement du Prestataire de Services de Paiement (PSP)

Le droit français, transposant la directive européenne DSP 2 (2015/2366), impose un principe de protection fort en faveur du client en cas de fraude.

A. Le Principe de Responsabilité de la Banque

En vertu de l'article L. 133-18 du Code monétaire et financier, dès qu'une opération de paiement non autorisée est signalée par le client (dans un délai de 13 mois), le prestataire de services de paiement est tenu de rembourser au payeur le montant de l'opération - immédiatement après en avoir pris connaissance. C'est sur ce fondement que le client recherche la responsabilité du banquier en raison de l'exécution de virements frauduleux.

Les obligations des Banques sont d’autant plus fortes qu’elles doivent mettre en œuvre une authentification forte (reposant sur au moins deux éléments appartenant aux catégories "connaissance", "possession" et "inhérence") conformément aux règles en vigueur depuis la DSP 2.

B. La seule porte de sortie pour la Banque : La négligence grave du Client

L'obligation de remboursement de la Bauque n'est pas absolue. L'article L. 133-19, IV du CMF prévoit des exceptions. Le payeur supporte toutes les pertes occasionnées si celles-ci résultent :

1. D'un agissement frauduleux de sa part.

2. Ou s'il n'a pas satisfait intentionnellement ou par négligence grave aux obligations de sécurité mentionnées aux articles L. 133-16 et L. 133-17 du Code Monétaire et Financier.

Il est important de savoir que seule une négligence qualifiée de "grave" peut dispenser le prestataire de services de paiement de son obligation de remboursement. Une simple négligence ne suffit donc pas.

III. Les responsabilités respectives de la Banque et du Client face au Spoofing

L'équilibre des responsabilités est central dans le contentieux du spoofing. La jurisprudence récente, notamment illustrée par les décisions récentes de la Cour de cassation (12 juin 2025, 23 octobre 2024) tend à une protection accrue du client, rendant l'exonération de la banque de plus en plus difficile.

A. La charge de la preuve Incombe à la Banque

La Banque souhaitant s'exonérer de sa responsabilité doit rapporter la preuve de la négligence grave de son client. Cette règle applique les principes généraux du droit de la preuve, selon lesquels celui qui prétend être libéré de ses obligations (la banque) doit justifier le fait qui éteint lesdites obligations.

La banque est responsable – même si elle est totalement étrangère à l’escroquerie - si elle ne parvient pas à démontrer que le client a commis négligence grave

Les banques ont en conséquence mis en place des politiques préventives, incluant des mises en garde, permettant de protéger les clients en amont et, indirectement, de les aider à s'exonérer de leur responsabilité, en aval, en cas de non-respect.

B. L'Interprétation stricte de la négligence grave par la Jurisprudence

L'appréciation de la négligence grave est réalisée au cas par cas.

La jurisprudence récente traduit une volonté de protéger les clients.

A titre d’exemples, la négligence grave n'a pas été retenue en cas de :

1. Légitimité de la Confiance : Le client croit légitimement être en relation avec un préposé de la banque puisque le numéro d'appel s'affiche comme étant celui de sa conseillère ou de la banque.

2. Stratagème Élaboré : Le mode opératoire de l'escroc est très élaboré (connaissance de bénéficiaires existants, annonce de piratage).

3. Vigilance Atténuée : L'utilisation du spoofing met le client en confiance et diminue sa vigilance, d'autant plus que l'appel téléphonique, invoquant souvent l'urgence, donne moins de temps pour s'apercevoir des anomalies qu'un courriel.

Il faut avoir que le fait de communiquer ses coordonnées personnelles ou de faire usage de son code confidentiel ne fait pas, à lui seul, obstacle à l’indemnisation.

 Conclusion

Le spoofing téléphonique est une menace qui exploite la confiance du client en sa banque pour provoquer des virements frauduleux. La tendance jurisprudentielle récente s'oriente vers une protection marquée du client, estimant que l'efficacité des stratagèmes, notamment l'usurpation de numéro et la connaissance de la situation du client, met la victime dans l'incapacité de déceler la fraude.

En l'absence de preuve d'une négligence grave, la responsabilité incombe au prestataire de services de paiement.

Les banques doivent en conséquence continuer à renforcer leurs systèmes (authentification forte) et leurs messages de prévention. De leur coté, les clients doivent redoubler de vigilance.

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